L'au-delà, le souffle et résurrection selon Yaqub Al-Qirqisani
Traduction partielle de l'article : “Where is Paradise ? Eschatology in Early Medieval Judaic and Islamic Thought” de Gyöngy Hegedus
Remarque : le texte suivant est la conception de l’au-delà et de la vie après la mort selon un sage karaïte du 10ème siècle. Je vous mets ici un extrait de l'article par Gyöngy Hegedus (traduction ChatGPT) qui compare une vision karaite (Qirqisani) avec une vision rabbinique (Saadia Gaon). Je fais appel à votre capacité intellectuelle et vos recherches pour comprendre et ne pas tout gober bêtement. Il n’est ni nécessaire ni obligatoire de croire à tout ce qui est dit ici. L'article présente de nombreux points et des visions qui me semblent intéressants à explorer et exploiter. Les mots entre parenthèses sont en judéo-arabe, j'ai donc rajouté quelques fois la traduction en hébreu. Bonne lecture.
Le concept de l’au-delà chez Ya’qub al-Qirqisani
Ya’qub al-Qirqisani, le penseur karaïte le plus éminent du dixième siècle, a composé son œuvre principale en 936, trois ans après que Saadia Gaon ait achevé le Livre des croyances et des convictions. Le Livre des lumières et des tours de garde (Kitab al-Anwar wa-’l-Maraqib) est un code exhaustif de la loi karaïte. Une grande partie de ce livre a survécu et a été publiée en quatre volumes par Simoni. Dans le deuxième volume, un passage d’environ soixante-dix pages traite du sujet de l’au-delà. Étant donné que Saadia Gaon et al-Qirqisani sont tous deux considérés comme des penseurs rationalistes majeurs de leur époque, une comparaison de leurs systèmes de pensée respectifs est fructueuse.
En général, on peut dire que le ton fondamental d’al-Qirqisani dans le Livre des lumières est beaucoup plus exégétique que celui de Saadia. Cela peut être dû au fait qu’al-Qirqisani appartenait au mouvement des Karaïtes, un courant purificationniste au sein du judaïsme qui rejetait l’importance religieuse de la tradition orale post-biblique et suggérait plutôt que chaque croyant devrait lire et commenter le texte de la Bible.
Au début du passage traitant de l’au-delà, al-Qirqisani remarque que tant la Torah que les œuvres des grands philosophes, par exemple Aristote, nécessitent des commentaires. Tout comme le texte du Pentateuque a été commenté par les prophètes, Aristote a été introduit par Alexandre d'Aphrodise, Porphyre et Jean le Grammairien. Cette observation d’al-Qirqisani suggère que, dans la partie suivante de son livre, il nous présente sa vision de la notion de l’au-delà, qui est justifiée, d’une part, par le texte biblique et, d’autre part, par des conclusions analogiques (qiyas).
Par exemple, l’un de ses arguments en faveur de l’existence d’un au-delà s’inscrit dans une approche rationaliste du problème : il affirme que l’existence d’un au-delà, où chaque âme reçoit sa rétribution, peut être justifiée par le fait apparent que la vie d’une personne méchante peut être plus longue et plus agréable que celle d’une personne pieuse.
Al-Qirqisani soutient également l’existence de l’au-delà en se basant sur l’exégèse du texte de la Genèse décrivant le Paradis (Djanna/Gan). De manière significative, selon ce passage, Elohim n’a pas détruit le Jardin d’Éden après que le premier couple en ait été expulsé. De plus, le fait que Elohim ait placé des anges gardiens à l’entrée du jardin signifie qu’il sera un jour repeuplé (L&W 224–25). Selon al-Qirqisani, le Jardin d’Éden est le lieu de la vie éternelle où aucun mortel ne peut entrer. Mais comme Elohim ne fait rien en vain, le fait que le jardin soit préparé et prêt, bien que gardé, implique qu’à un moment donné dans l’avenir, des êtres immortels y habiteront.
En revanche, selon Saadia Gaon, le lieu des pieux dans l’au-delà est appelé Jardin d’Éden uniquement de manière allégorique :
"La récompense de l’au-delà a été appelée Jardin d’Éden uniquement parce qu’il n’existe rien dans ce monde de plus magnifique que ce jardin dans lequel Elohim a fait habiter Adam, que la paix soit sur lui." (B&C 274)
Une autre conclusion qu’al-Qirqisani tire de ce même passage biblique est de nature fortement dualiste. Il affirme que la poussière dont l’homme a été créé ne provenait pas du Jardin, ce qui implique que les humains appartiennent à deux domaines : celui de la vie (dar al-hayat/Bet hahayyim), qui équivaut au “Paradis” où ils retourneront éventuellement ; et celui de la mort (dar al-mamat/Bet HaMaveth), qui est le monde matériel de la génération et de la corruption.
De plus, il soutient que, dans le langage de la Bible, la mort (maveth) signifie le châtiment [dans l’au-delà] (‘iqab), tandis que la vie (hayyim) signifie la récompense [éternelle] (thawab) (L&W 230). Ainsi, il présuppose l’existence d’un monde physique de temporalité, soumis à des changements constants et à la mort, qui s’oppose à un monde spirituel et éternel où résident les âmes angéliques (al-arwah al-malakiyya).
En résumé, selon al-Qirqisani, les humains ont une double origine : leur corps est créé à partir de la poussière de la terre, tandis que leur esprit vient de Elohim (Berechit 1). En fait, l’existence humaine peut être divisée en deux périodes : la période du travail et du devoir (waqt al-‘amal wa-at-taklif) et le temps de la récompense et du châtiment (waqt ath-thawab wa-‘l-‘iqab), qui suit (L&W 271). La "vraie vie", qui n’est pas soumise aux changements et à la corruption, appartient au domaine de l’au-delà (akhira), qui ne prend jamais fin (L&W 229).
Le dualisme dans l'eschatologie d’al-Qirqisani
La différence la plus importante entre l’eschatologie de Saadia Gaon et celle d’al-Qirqisani semble résider dans le fait que, pour Saadia, le domaine de l’au-delà peut être décrit comme une période infinie. En revanche, pour al-Qirqisani, après la résurrection des corps, l’au-delà se compose de deux périodes distinctes. Bien que les deux périodes puissent être qualifiées d’au-delà (akhira/ha’olam haba), elles sont significativement différentes.
Au cours de la première phase, les corps (gouf) et les âmes (rouah, souffle ; esprit) seront réunis et recevront ensemble leur punition ou leur récompense. Dans la deuxième période, qui suit l’effondrement du domaine physique, seuls Elohim et les âmes des vertueux subsisteront dans un état intemporel et éternel :
"La rétribution des individus s’effectue de deux manières, toutes deux [se produisant] dans l’au-delà. La première [rétribution] a lieu après le retour des âmes (arwah, [pluriel arabe de souffle, esprit]) dans leurs corps, au Paradis ou en Enfer, comme nous l’avons expliqué plus haut. Cette période durera jusqu’à la fin du temps décrété pour le monde, moment où tous les corps seront détruits, ainsi que l’espace et le temps qui leur sont liés. La deuxième [rétribution] consiste en la survie éternelle des âmes appartenant aux corps mentionnés ci-dessus, dans un état intemporel (baqa’ fi-’d-dahr) non soumis au mouvement et qui ne prendra jamais fin, puisqu’il s’agit d’une seule potentialité éternelle (quwwa wahida sarmadiyya). Là, les [âmes] des vertueux rejoindront l’ordre des anges, deviendront l’un des leurs, habiteront avec l’assemblée céleste et jouiront du bonheur le plus parfait par la proximité de leur Créateur, loué et exalté soit-Il." (L&W 241)
Ainsi, d’accord avec Saadia, al-Qirqisani affirme que l’injustice dans le monde visible nécessite une forme de rétribution dans l’au-delà. Cette rétribution est double :
Après la résurrection, le corps et l’âme participent ensemble à la joie du Paradis ou aux souffrances de l’Enfer (Gehinnom).
Après l’effondrement de tout espace et temps, les âmes des vertueux demeureront avec Elohim pour toujours dans un état intemporel et immobile.
On peut conclure qu’al-Qirqisani divise la vie humaine en six étapes :
La vie dans le monde visible et physique, où le corps et l’âme sont unis.
La mort, qui est la séparation du corps et de l’âme.
Une période intermédiaire durant laquelle l’âme reste séparée du corps.
Le temps de la résurrection, où le corps et l’âme sont réunis.
Le jugement, qui attribue les âmes à l’Enfer ou au Paradis selon leurs bonnes ou mauvaises actions.
À un moment donné, tout mouvement cessera, et seuls le visage d’Elohim et les âmes des vertueux subsisteront.
Selon Saadia et al-Qirqisani, la vie humaine est une opportunité de faire le bien ou le mal, de servir Elohim ou de s’éloigner de Lui. Dotés du libre arbitre, les êtres humains sont considérés comme des agents responsables, dont les actions sont mémorisées et conservées en vue du jugement dans l’au-delà. Selon al-Qirqisani, la vie dans ce monde fonctionne souvent comme un “renversement” de l’au-delà : (dans le monde actuel) les justes sont punis pour leurs quelques péchés commis dans leur vie, tandis que les méchants sont récompensés pour leurs bonnes actions (L&W 251).
La mort signifie la décomposition du corps et de l’âme. Le corps, soumis aux lois de la nature, est réduit à ses particules, tandis que l’âme est conservée dans un lieu indéfini.
La période intermédiaire, entre la mort et la résurrection, est l’un des sujets les plus obscurs, donnant lieu à diverses spéculations. Selon Saadia, le lieu où les âmes pures sont conservées est situé en hauteur, tandis que celui des âmes troublées se trouve en bas (B&C 212). Pendant la première période suivant sa séparation du corps, l’âme existe quelque temps sans domicile fixe, jusqu’à ce que le corps se soit décomposé. Elle souffre alors beaucoup, en raison de sa connaissance des vers et des vermines qui traversent le corps, tout comme une personne serait peinée de savoir qu’une maison dans laquelle elle vivait est en ruine, envahie par des ronces et des chardons (B&C 213).
Pour al-Qirqisani, après la mort, la personne connaît une forme de rétribution spirituelle (djaza’ ruhani), où l’âme, bien que séparée du corps, est consciente de ce qui l’attend et peut ressentir de la joie ou du désespoir en conséquence (L&W 271, 279).
La résurrection, qui implique la réunification du corps et de l’âme, se produira lorsque Elohim aura achevé la création de toutes les âmes qu'il entend créer. Les deux auteurs affirment qu’il s’agira d’un événement collectif auquel chaque humain participera.
Dans l’au-delà, corps et âme seront réunis, jugés, puis recevront la récompense ou la punition appropriée. L’idée de justice divine suppose une gradation des récompenses et des punitions, reconnaissant que les individus diffèrent selon le nombre de leurs bonnes et mauvaises actions.
Saadia et al-Qirqisani s’accordent sur le fait que la récompense et la punition auront un caractère public. Selon Saadia, ceux qui ont des rangs proches se rencontreront, tandis que ceux qui sont éloignés ne se rencontreront pas ou se verront seulement de loin (B&C 212). Al-Qirqisani, en revanche, affirme que la Bible établit clairement que chacun pourra voir les personnes situées sur des degrés différents (L&W 281).
Ainsi, les opprimés auront l’occasion de se venger de leurs oppresseurs, et les pieux pourront se réjouir des souffrances de leurs ennemis (L&W 281).
De manière concluante, on peut soutenir que les perspectives de Saadia et d’al-Qirqisani sur la nature de l’au-delà peuvent être considérées comme rationnelles. Leurs arguments reposent d’une part sur les preuves du texte biblique et d’autre part sur des intuitions rationnelles. Cependant, ils diffèrent sur trois points, dont un est d’une importance philosophique majeure.
La première différence mineure concerne la situation du malfaiteur qui se repent de tous les péchés commis dans sa vie immédiatement avant sa mort. Selon al-Qirqisani, cette personne rejoindra le domaine de la récompense (dar ath-thawab), car le dernier acte annule les précédents (L&W 232). Selon Saadia, le repentir avant la mort peut entraîner une annulation des mérites négatifs, mais il ne garantit pas l’absolution de tous les péchés.
La deuxième différence mineure, comme mentionné précédemment, réside dans la compréhension de la notion du Jardin d’Éden : Saadia l’interprète de manière allégorique, tandis qu’al-Qirqisani opte pour une compréhension littérale du passage biblique.
C’est dans leur compréhension respective de la notion d’éternité qu’une différence philosophique significative apparaît.
Al-Qirqisani remarque que « le lieu (makan) dans l’au-delà sera le même, mais la notion de temps (zaman) sera différente de ce qu’elle est dans ce monde » (L&W 226). Que signifie-t-il par là ? La « même nature » du lieu fait sans doute référence à sa compréhension du Jardin d’Éden, le lieu du Paradis, comme un lieu géographique réel et concret qui existera après la résurrection de la même manière qu’aujourd’hui. En revanche, le temps sera différent de ce qu’il est maintenant, car il sera éternel.
L’hypothèse selon laquelle la récompense de Elohim est parfaite (tamm) implique qu’elle est éternelle et non temporelle (L&W 227). Il est possible qu’al-Qirqisani utilise une notion d’éternité différente de celle de Saadia. Contrairement à la notion d’éternité de Saadia, comprise comme une durée infinie d’un temps linéaire, al-Qirqisani parle d’une félicité éternelle et intemporelle. Selon Saadia, l’éternité peut donc être comprise en termes de quantité, c’est-à-dire l’infinité d’un temps linéaire ; tandis que pour al-Qirqisani, l’éternité implique un changement qualitatif dans la notion de temps.
En conséquence de quoi, il est clair qu'al-Qirqisani désigne cette période de l’au-delà où corps et âme sont réunis comme une « période intermédiaire » (al-martaba al-wusta) (L&W 257). Selon lui, ce n’est rien d’autre qu’une préparation au monde spirituel ultime (alam ruhani, alam al-arwah), ou à ce qui peut être désigné comme l’« autre monde ».
Dans le monde spirituel ou « autre monde », ni le corps, ni le changement, ni la temporalité n’existeront, et l’âme des justes jouira de la proximité de Elohim d’une manière intemporelle. Cette félicité spirituelle éternelle, cependant, ne peut être atteinte au cours de la vie terrestre selon al-Qirqisani. Elle ne surviendra qu’après la destruction du monde physique, lorsque, après la cessation de tout mouvement, les âmes angéliques (arwah malakiyya) des vrais croyants connaîtront la rédemption intemporelle (furqan) et la joie (faradj/simha) (L&W).
Selon al-Qirqisani, cette notion intemporelle d'éternité est décrite dans le texte du Tehilim 102:16 et dans Isaïe 51:6.
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